Je vous en ai parlé il y a quelques semaines, j'avais très envie de lire le manifeste de Jean-François Piège, d'une part car je suis (plus ou moins) Top Chef, que je ne connaissais pas beaucoup ce chef et qu'il faisait l'objet d'un article dans le magazine Art&Gastronomie, ce qui me donnait envie d'en savoir plus.

De plus, un manifeste ... cela change des livres de cuisine, vous ne trouvez pas ?
En grande fan de livres, et comme j'ai pu le trouver d'occasion, j'en ai profité et l'ai commandé pour voir à quoi ressemblait ce manifeste.

Jean-François Piège nous livre son histoire, ses anecdotes, quelques recettes. Et donne la parole aux personnes qui lui sont chères, tantôt drôle (Valérie Expert et sa série des "j'aime pas"), tantôt visuelle, celles ci apporte une petite touche supplémentaire à cet art de manger qui rend ce manifeste plutôt digeste à lire.

J'ai particulièrement apprécié le fait qu'il termine son livre par la liste de ses fournisseurs, sans eux l'art de manger ne serait pas un art.

Voici un petit extrait (cf. Amazon) :
PREMIÈRES ÉMOTIONS CULINAIRES

25 septembre 1970 : j'ouvre pour la première fois les yeux à Valence, dans une région au terroir exceptionnel, spectatrice discrète de mes tendres années et surtout de mes premiers émois de cuisinier. Je suis né au mois de septembre, l'automne sera plus tard l'une de mes saisons préférées, tout comme le printemps.

VALENCE : LES PORTES DE MON ENFANCE

Je me souviens très nettement des repas de famille orchestrés chaque dimanche midi avec grâce et talent par ma grand-mère, j'avais alors 6 ans. Mon frère et moi attendions toute la semaine avec impatience ce fameux «dimanche», et le temps suspendu entre chaque fin de semaine nous semblait interminable. Le jour J, les quelques kilomètres que nous parcourions à pied et qui nous séparaient de la maison de mes grands-parents me paraissaient extrêmement longs... Dès mon arrivée, je pénétrais à l'intérieur de la maison en trépignant, mon coeur battait de plus en plus fort avant que je puisse humer, telle une drogue, le doux parfum de la daube provençale qui mijotait sur le poêle. J'avais l'eau à la bouche en passant devant les oeufs mimosa, disposés bien raides, alignés dans un plat au milieu de la table. Les oeufs à la neige attendaient quant à eux sagement dans le réfrigérateur mon coup de cuillère assassin. Au moment où tous les membres de la famille se réunissaient autour de la table, je ressentais à chaque fois le même sentiment, celui d'un bonheur total, indescriptible et impalpable, d'une sécurité et d'un confort extrêmes. C'est à ce moment précis que j'avais la sensation, assis au milieu de tous ceux qui m'aimaient et que j'aimais, que rien ne pourrait jamais m'arriver.
Je repense également à la pension de famille que tenait ma tante, un endroit de joie, convivial et rustique. Il y avait toujours du monde, du bruit, des habitués et des inconnus qui partageaient un repas dans la bonne humeur. Je m'y sentais bien.

Évidemment, lorsque je repense à mon enfance, mes plus beaux souvenirs viennent des repas pris chez moi, en famille, nous quatre, mes parents, mon frère et moi.

J'ai encore le goût dans la bouche des tomates farcies de ma mère accompagnées des histoires racontées par mon père.

Ces instants de cuisine, de partage en famille, sont mes premières émotions culinaires et une source de souvenirs de bonheur intarissable. Dès lors, mon destin de cuisinier était scellé : retrouver ces sensations et les partager. La cuisine et la scénographie culinaire associées à ces périodes de vie restent gravées dans ma mémoire et sont devenues plus tard mon leitmotiv quotidien. Ce travail de symbiose entre la cuisine et sa périphérie occupe une place majeure chez moi, et me conduit aujourd'hui à envisager celui-ci comme une réflexion sur ce que j'appelle mon «art de manger».


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